Caution, ou sauvetage ? Des
experts fiscaux publient un test en 5 étapes pour les plans de
sauvetage d’entreprises face au Covid19
Suite à l’interdiction faite par le Danemark, la Pologne et l’Argentine aux entreprises enregistrées dans les paradis fiscaux de bénéficier de
plans de sauvetage au titre de Covid19 [1], le Réseau pour la justice fiscale (Tax
Justice Network) a publié un test « caution ou sauvetage » afin de dissiper l’incertitude sur la manière dont les gouvernements peuvent déterminer quelles entreprises recourent
discrètement aux paradis fiscaux pour payer moins d’impôts. Le test est conçu dans le but d’éviter que l’argent des contribuables ne se retrouve dans les paradis fiscaux et de garantir la
transparence fiscale des bénéficiaires du sauvetage à l’avenir.
Le test de « caution ou de sauvetage » consiste en cinq vérifications :
1. Le groupe de sociétés a-t-il une ou plusieurs filiales dans l’une des 10 juridictions figurant en tête du classement [2] de l’indice d’opacité financière ou du classement des paradis fiscaux ?
Si tel est le cas, le groupe de sociétés doit publier un rapport complet pays par pays d’ici la fin 2020, conformément à la norme établie par la
Global Reporting Initiative [3], afin de démontrer que la
présence dans la juridiction est destinée à une activité commerciale légitime et non à réduire les charges fiscales ailleurs. A défaut, le groupe de sociétés doit être exclu du bénéfice d’un
sauvetage. Sinon, les responsables politiques peuvent procéder à la deuxième vérification.
Le Réseau pour la justice fiscale a appelé les gouvernements à s’appuyer sur l’indice d’opacité financière et le classement des paradis fiscaux
plutôt que sur des listes nationales ou régionales de paradis fiscaux comme la liste noire de l’UE, car ces dernières se sont avérées à plusieurs reprises trop politiques et trop faibles pour
lutter efficacement contre la fraude fiscale. Depuis la première liste en 2017, toutes les versions de la liste noire de l’UE ne sont même pas parvenues à couvrir ne serait-ce que 10 %
des services en matière d’opacité financière dans le monde.
2. La société a-t-elle été impliquée dans des scandales financiers ou fiscaux tels que LuxLeaks, Cum-ex ou a-t-elle été jugée coupable
d’avoir bénéficié d’une aide d’État illégale ?
Si tel est le cas, le groupe de sociétés doit être déclaré inéligible à un sauvetage.
3. La société a-t-elle publié en ligne ses résultats les plus récents pour toutes les entités juridiques du groupe, y compris les
rapports complets pays par pays conformément à la norme de la Global Reporting Initiative ?
Si ce n’est pas le cas, les gouvernements doivent en faire une condition pour les bénéficiaires du sauvetage d’ici la fin de l’année 2020. Si
cette condition n’est pas remplie à la date prévue, l’argent du sauvetage doit être restitué.
4. Le groupe de sociétés a-t-il publié des informations sur l’identité des ayants droit et des propriétaires légaux de toutes ses
entités légales et sur la structure complète du groupe ?
Si ce n’est pas le cas, les gouvernements doivent en faire une condition pour les bénéficiaires du sauvetage d’ici la fin de l’année 2020. Si
cette condition n’est pas remplie à la date prévue, l’argent du sauvetage doit être restitué.
5. Le groupe de sociétés s’est-il engagé à protéger les salariés et à ne pas recourir à des stratégies visant à maximiser sa valeur
actionnariale tant que les prêts de sauvetage n’ont pas été remboursés intégralement et que le groupe de sociétés a retrouvé sa rentabilité ou est devenu insolvable ?
Dans le cas contraire, le groupe de sociétés doit être exclu du bénéfice d’un sauvetage. Les entreprises renflouées doivent au moins s’engager à
ne pas licencier les salariés qui doivent être mis en quarantaine ou hospitalisés et à verser à tout le personnel un salaire minimum vital jusqu’au remboursement complet des fonds de
sauvetage ou à l’insolvabilité de l’entreprise. Les entreprises renflouées ne doivent pas verser de dividendes, racheter leur propre capital et transformer les autres réserves de capitaux
propres, telles que les primes d’émission, en primes aux actionnaires jusqu’à ce que l’entreprise ait remboursé intégralement ses prêts de sauvetage et retrouvé sa rentabilité.
La pression exercée sur les gouvernements pour qu’ils s’attaquent aux risques que les paradis fiscaux font peser sur les efforts de lutte contre
la pandémie de Covid-19 s’est accrue à la suite des récentes révélations selon lesquelles les Pays-Bas ont coûté aux pays de l’UE 10 milliards de dollars en pertes d’impôts sur les sociétés
des entreprises étatsuniennes. Ces révélations ont été publiées dans un rapport [4] du Réseau pour la justice
fiscale qui analyse les bénéfices transférés par les entreprises étatsuniennes vers le paradis fiscal néerlandais, où les taux d’imposition des sociétés peuvent être en pratique inférieurs à
5 %, afin de sous-estimer les bénéfices réalisés ailleurs dans l’UE et donc de payer des milliards de dollars d’impôts en moins. Selon le rapport, les pertes d’impôt sur les sociétés
sont les plus importantes parmi les pays de l’UE où les cas de coronavirus signalés sont les plus nombreux : la France a perdu plus de 2,7 milliards de dollars en impôt sur les sociétés
au profit des Pays-Bas, l’Italie et l’Allemagne ont perdu plus de 1,5 milliard de dollars chacun et l’Espagne a perdu près d’un milliard de dollars au profit du paradis fiscal
néerlandais.
Alex Cobham, le secrétaire général du Réseau pour la justice fiscale, a déclaré : « La pandémie de coronavirus a révélé les graves coûts d’un système fiscal international programmé pour privilégier les intérêts des
multinationales par rapport aux besoins des populations. Pendant des années, les paradis fiscaux comme les îles Vierges britanniques, les Pays-Bas et le Luxembourg ont entretenu une course
vers le bas, remettant la richesse et le pouvoir aux plus grandes entreprises et les retirant aux infirmières et aux fonctionnaires qui risquent aujourd’hui leur vie pour protéger la
nôtre ».
« Aujourd’hui plus que jamais, les pays doivent réorienter leurs systèmes fiscaux pour faire passer le bien-être des citoyens avant les
intérêts des entreprises les plus riches. Cela signifie qu’il faut s’assurer que nous ne reconstruisions pas nos économies en laissant la place pour une porte dérobée pour les paradis
fiscaux. Nous avons mis au point le test »caution ou de sauvetage« pour aider les gouvernements à s’assurer que les impôts servent à protéger l’emploi et le bien-être des
populations au lieu de récompenser les fraudeurs qui peuvent se permettre de trouver refuge dans des lieux de villégiature de luxe ».
Déclaration des Attac d’Europe - Un autre avenir après le Covid-19
Le réseau des Attac d’Europe invite toutes les organisations, tous les mouvements et les militant·e·s à participer à nos débats et à nos actions
dans le cadre de la crise multiple liée au Covid-19 : comment pouvons-nous empêcher de terribles dégâts sociaux et des atteintes à nos droits démocratiques ? Comment rendre possible
le passage à un autre système, basé sur la solidarité sociale et le respect de l’environnement, pour remplacer le système capitaliste néolibéral ? Nos universités d’été (si elles peuvent
avoir lieu en 2020) et l’Université d’été européenne en août 2021 en Allemagne seront autant d’étapes importantes dans cette réflexion urgente.
Le Covid-19 est une maladie virale qui s’est déclarée en Chine. Elle s’est désormais propagée à toute la planète grâce à l’internationalisation des
chaînes d’approvisionnement et aux importants mouvements de population qu’entraîne le tourisme mondial. Toutes les régions du monde sont touchées mais les réactions à cette crise sanitaire
varient d’un pays à l’autre. Certains gouvernements ont réagi rapidement alors que d’autres sont restés trop longtemps dans un optimisme béat, sans doute par crainte des conséquences économiques.
Les mesures prises varient elles aussi selon les territoires.
La crise financière de 2008, l’aggravation de la crise climatique et environnementale et la pandémie actuelle de coronavirus nous montrent qu’il
s’agit d’une évolution qui fait boule de neige. Le désastre qui en découle représente une menace pour l’humanité dans son ensemble. Ces crises sont la preuve que le système néolibéral est
inadapté, tant pour le présent que pour l’avenir.
Le réseau des Attac d’Europe exige que soient prises les 21 mesures suivantes afin de lutter contre la pandémie de Covid-19 et la crise
politique et économique qu’elle a déclenchée.
En ce qui concerne les services publics, qui sont la richesse de ceux qui n’ont rien
1. Un plan d’urgence pour la santé publique accessible à toutes et tous
Des politiques austéritaires et une logique de profit ont entraîné des coupes dans les dépenses publiques, avec comme conséquence un manque de
personnel hospitalier, des carences dans l’équipement, et donc l’incapacité des structures hospitalières à faire face aux nombres de patient·e·s infecté·e·s. Des investissements dans les services
publics, et celui des soins en particulier, sont bien la façon dont nos sociétés peuvent s’assurer contre le risque de crises sanitaires extraordinaires – qui pourraient bien s’avérer ne pas être
tellement extraordinaires dans les années qui viennent. Les principes d’efficacité économique à court-terme (comme le taux d’occupation maximale des lits) et la gestion des stocks à flux tendu ne
peuvent en aucun cas s’appliquer au secteur de la santé. Cette approche néolibérale tue dans des circonstances normales, elle tue encore davantage dans la situation présente. Des soignant·e·s
doivent être recruté·e·s en masse et leurs salaires doivent être augmentés. Il faut ouvrir des dizaines de milliers de lits dans les hôpitaux et les maisons de retraite. Des équipements médicaux
doivent être achetés de manière proactive, et produits localement. Il en va de même pour les médicaments ; les grands conglomérats privés de l’industrie pharmaceutique doivent être
démantelés et tout brevet sur des vaccins ou médicaments vitaux doit être interdit.
2. Une recherche publique de qualité
La santé et la vie humaine doivent passer avant les profits. Il nous faut basculer d’une logique à court-terme à une recherche publique de qualité
sur le long-terme si nous voulons être capables de faire face à la prochaine crise sanitaire. Il faut financer la recherche de façon à prévenir des catastrophes sanitaires et à mettre au point
les vaccins nécessaires. Des emplois publics doivent être créés dans les universités et centres de recherche, et les fonds nécessaires à mener des recherches dans de bonnes conditions doivent
être alloués.
En ce qui concerne la sauvegarde et l’extension de la démocratie
3. Respect absolu du droit du travail
À l’instar du gouvernement italien, les gouvernements européens doivent convoquer les syndicats pour atteindre des accords collectifs relatifs aux
secteurs qui doivent être mis à l’arrêt et ceux qui doivent poursuivre leur activité pour assurer les besoins de base de la population. En attendant un tel accord, les travailleurs·ses doivent
faire valoir leur droit de retrait si ils et elles considèrent que les mesures de protection sont insuffisantes. De plus, il ne faut pas que les mesures d’urgence comprennent des régressions en
termes de droits économiques et sociaux comme une augmentation du temps de travail.
4. Respect absolu des droits fondamentaux
La crise sanitaire ne peut justifier des mesures qui portent atteinte aux libertés et droits fondamentaux. Le respect de la vie privée doit être
garanti et les gouvernements se doivent d’être transparents dans leurs prises de décision. Toutes les mesures prises dans un contexte d’urgence doivent être prises dans le but de satisfaire les
besoins de toutes et tous et doivent être strictement limitées dans le temps. Nous devons résister à la tentation de la surveillance électronique. La mise en œuvre du confinement ne peut
justifier l’utilisation de la force contre les plus vulnérables (les sans-abris et les migrant·e·s).
5. Nos droits civiques doivent être préservés et étendus après la crise
Les mesures de confinement actuelles ne peuvent pas aboutir à une restriction de nos droits civiques. Après la crise ils doivent au contraire être
étendus à la sphère économique afin de décider comment nous voulons vivre et ce que nous voulons produire. Il est scandaleux qu’Amazon ait pu continuer ses activités alors que les commerces et petites entreprises étaient obligés de fermer. Nous devons
mettre un terme à l’impunité des multinationales et répudier les traités dits de libre-échange de dernière génération, et en particulier les mécanismes de règlement des différends entre
investisseurs et États.
En ce qui concerne l’égalité et la protection des plus vulnérables
6. Garantie de revenus pour tous les travailleur·se·s, avec ou sans emploi, les indépendant·e·s, les petites entreprises et les artistes /
intermittent·e·s du spectacle
La crise du Covid-19 va porter un coup dur à nos économies. Il va falloir prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher une crise sociale.
Tout licenciement doit être interdit et un revenu minimum doit être garanti pour tou·te·s. Les gouvernements devront aider les entreprises qui ont des difficultés de trésorerie (les
indépendant·e·s, les petites et moyennes entreprises) et leur permettre de faire face à des horaires réduits ou un arrêt complet de leur activité. Cependant, les aides apportées à des entreprises
privées ne peuvent se faire que sous la forme d’un prêt ou d’une participation au capital.
7. Réquisition immédiate de tous les logements vides
Personne ne doit avoir à se plier aux mesures de confinement dans un logement insalubre ou pire, à la rue. La réquisition de logements vides est
depuis toujours une de nos revendications, elle est plus urgente que jamais. Dans le même temps, il faut introduire un moratoire sur le paiement des loyers.
8. Protection des personnes exposées à la violence domestique
Le confinement, surtout lorsque les logements sont petits, met les personnes confinées en stress continu, ce qui favorise des dépressions mais est
aussi bien souvent une source de violences, que subissent le plus souvent enfants et femmes. Dès maintenant il est nécessaire d’y remédier. Protéger contre les violences est essentiel. Des
enfants et des femmes sont déjà mort·e·s. La capacité d’accueil des abris et centres doit être augmentée, les possibilités de relogement facilitées.
9. Soutien aux jeunes
Les retards scolaires détectés par les enseignants doivent être résolus immédiatement par un soutien personnel, en faisant appel à celles et ceux
qui sont actuellement sans emploi, comme les artistes, qui doivent être correctement payé·e·s, et en fournissant du matériel informatique et d’autres fournitures nécessaires en ces temps de
confinement.
10. Permis de séjour pour les sans-papiers
Les migrant·e·s dont les droits fondamentaux sont bafoués sous prétexte qu’ils sont en séjour illégal ne sont pas en position de respecter les
mesures sanitaires. Voilà qui est inacceptable. La décision prise par le gouvernement portugais démontre que l’octroi massif de permis de séjour est possible. Tous les gouvernements devraient
s’en inspirer pour s’assurer que chacune et chacun, peu importe sa nationalité, peut prendre les mesures nécessaires à sa protection. Les centres et camps de réfugié·e·s doivent être
immédiatement fermés ; à l’instar des touristes, les migrant·e·s devraient être conduit·e·s dans les villes d’Europe qui ont promis de les accueillir (‘villes hospitalières’).
En ce qui concerne la justice fiscale
11. Un système fiscal équitable
La pandémie de Covid-19 montre que nos sociétés ont grand besoin de services publics de qualité. Cela a un prix. Il faut donc repenser notre système
fiscal pour que les riches contribuent en fonction de leur fortune. Les cadeaux fiscaux de ces dernières décennies doivent être annulés et le niveau de l’imposition doit redevenir véritablement
progressif avec une assiette qui globalise et soumet au même taux les revenus des biens mobiliers et immobiliers et les revenus du travail. Les gouvernements doivent agir de concert et
efficacement pour éliminer les paradis fiscaux, appliquer une taxe sur les transactions financières et mettre fin au nivellement par le bas qui consiste à abaisser les taux d’imposition des plus
riches et des sociétés transnationales.
12. Taxation des bénéfices et de la fortune
Les mesures qu’il faut prendre pour soutenir les entreprises en difficulté suite au ralentissement ou à l’arrêt de leur activité tout comme la
récession qu’implique la crise du Covid-19 représentent une lourde charge pour le trésor public. Or dans le même temps, certaines multinationales font des bénéfices exceptionnels (Amazon,
Netflix...). Il faut taxer ces bénéfices pour empêcher que les dépenses publiques n’entraînent un nouvel endettement sur les marchés financiers. Si nous devons tou·te·s être solidaires, cela
concerne aussi ces entreprises.
13. Interdiction de distribuer des dividendes
Le coût de la crise doit être payé par un impôt sur les grandes fortunes et sur les fonds spéculatifs. Les milliards d’euros de dividendes que les
entreprises doivent payer à leurs actionnaires sur base des bénéfices réalisés en 2019 ne doivent pas être distribués, mais utilisés pour faire face à la crise.
En ce qui concerne les banques et les marchés financiers dans l’UE et en Europe
14. Prêts aux pouvoirs publics par les banques centrales à un taux d’intérêt de zéro
Les banques centrales et les banques publiques doivent prêter directement aux pouvoirs publics pour les aider à financer des plans d’urgence. Ces
prêts doivent être consentis à un taux d’intérêt nul ou proche de zéro. Les dettes publiques ne peuvent pas être utilisées à des fins spéculatives sur les marchés financiers comme ce fut le cas
après la crise de 2008. Il faut prendre des mesures contre la spéculation sur les dettes publiques. Par ailleurs, il faut abroger le Pacte de Stabilité, de Coordination et de Gouvernance.
15. Contrôle des flux de capitaux
La pandémie de Covid-19 ne doit pas utilisée par les marchés financiers pour spéculer. Il faut les empêcher de déstabiliser des économies entières
rendues déjà plus vulnérables par la crise. Les opérations spéculatives et le shadow banking doivent être interdits. C’est le moment où jamais de mettre en place la taxe sur les transactions
financières proposes par dix gouvernements européens ainsi que la taxe sur les transactions en devise qui constitue le point de départ de notre association.
16. Démantèlement et socialisation des grandes banques
Certaines banques représentent un risque systémique pour l’économie : leur faillite déstabiliserait le système bancaire international. Ces
banques qui sont ’trop grosses pour faire faillite’ doivent être démantelées et socialisées. Les banques de dépôt et les banques d’affaire doivent être séparées quoi qu’en dise le lobby bancaire
européen.
En ce qui concerne la solidarité internationale
17. Une réaction coordonnée au niveau européen
La solidarité entre pays européens ne peut fonctionner que si la réaction des différents gouvernements n’est pas motivée par les intérêts des pays
économiquement les plus forts. Le budget de l’UE doit être augmenté et utilisé pour soutenir les pays les plus durement touchés. De l’argent, mais aussi des équipements médicaux doivent être
répartis entre voisins. La solidarité entre les hôpitaux ne doit pas dépendre de discriminations nationales. Plus généralement, les fondements de l’intégration au sein de l’UE doivent être revus
en profondeur pour être établis sur des bases sociales et non sur les idéologies du libre marché, du libre-échange et de la libre concurrence.
18. La solidarité internationale avant tout
Les conséquences humanitaires, sociales et économiques de la pandémie seront particulièrement graves pour les pays les plus pauvres. Il convient de
déployer un vaste soutien international pour aider et protéger les populations les plus vulnérables au niveau mondial. L’aide aux pays du Sud devrait prendre la forme d’une aide directe plutôt
que de prêts assortis de conditions néolibérales. La dette publique devrait être annulée afin que les pays puissent réorienter leurs ressources vers la lutte contre la crise sanitaire. Il faut
mettre fin aux tribunaux privés protégeant les investisseurs et à d’autres mesures commerciales injustes.
En ce qui concerne la transformation écologique et sociale de nos économies
19. Réorientation des subventions publiques aux secteurs polluants vers une transition sociale et écologique
Le soutien financier accordé aux entreprises dans les secteurs polluants doit être conditionné à une réelle transition vers un mode de production
social et écologique. Il faut envisager la socialisation de ces entreprises et a minima, les droits des travailleurs·ses doivent être garantis. Il faut mettre en œuvre des plans de formation et
de reconversion professionnelles. Les gouvernements se précipitant pour colmater les brèches, il ne faut pas qu’après leur intervention tout revienne à la situation antérieure, surtout après les
efforts fournis par la population.
20. Des politiques monétaires au service de l’économie réelle et de la transition
La Banque central européenne (BCE) a annoncé qu’elle allait acheter 750 milliards d’euros en titres bancaires pour soutenir l’économie. Il ne faut
pas que les banques et les marchés financiers s’en servent pour continuer à spéculer ou à financer des secteurs polluants et nuisibles. De même que les gouvernements doivent conditionner leur
aide à un réel engagement de transformation écologique et sociale, les banques centrales doivent elles aussi imposer des conditions en échange de leur soutien.
21. La relocalisation solidaire de la production
La pandémie de Covid-19 a révélé une carence déplorable dans la production de biens stratégiques comme les médicaments et les aliments.
L’internationalisation extrême de la chaîne d’approvisionnement a rendu nos sociétés plus vulnérables dans des situations comme la crise actuelle. La relocalisation de productions essentielles
exige que nous abolissions les règles du libre-échange actuellement imposées par l’UE. Nous devons encourager l’agriculture locale et paysanne qui utilise peu de pesticides et d’engrais
chimiques, par opposition aux pratiques agro-industrielles actuelles qui non seulement tuent les sols et la biodiversité, mais augmentent la pollution et favorisent ainsi la propagation des
maladies. C’est aux populations de décider comment elles veulent vivre, ce qu’elles veulent produire et échanger de manière équitable et écologiques ainsi que
dans le respect des intérêts du plus grand nombre. Ceci s’oppose à la logique de compétition entre pays sur la base du coût du travail et des politiques fiscales et cela entraînerait une
diminution des émissions de gaz à effet de serre. Il nous faut déployer une stratégie sociale et écologique à l’échelle européenne.
Coronavirus : une révolution écologique et sociale pour construire le monde d’après
« Nous ne voulons pas d’un retour à leur normalité, car la normalité néolibérale et productiviste est le problème. »
C’est ce que nous essayons de démontrer dans cette note en proposant des solutions pour répondre à l’urgence sanitaire de manière efficace et
juste tout en esquissant, dès maintenant, la révolution écologique et sociale qui devra être mise en oeuvre pour permettre aux peuples de reprendre le contrôle sur leurs vies et sur leur
avenir.
Sommaire
Répondre à l’urgence
Répondre aux besoins des hôpitaux pour faire face à l’urgence sanitaire
Respecter les libertés et droits démocratiques
Protéger les personnes les plus durement touchées.
Pour une révolution écologique et sociale
Soutenir les entreprises réellement en difficulté en conditionnant les aides
Débloquer les financements nécessaires en assurant la justice fiscale
Désarmer les marchés financiers
Des services publics pour assurer l’accès de tou·te·s aux droits humains fondamentaux
Une relocalisation solidaire des activités
Une révolution écologique et sociale
Conclusion : préparer le jour d’après, dès maintenant !
« Plus jamais ça ! » : 19
responsables d’organisations syndicales, associatives et
environnementales appellent à préparer « le jour d’après »
« Plus jamais ça ! », 19 responsables d’organisations syndicales, associatives et environnementales parmi lesquels Aurélie Trouvé
(Attac), Philippe Martinez (CGT), Cécile Duflot (Oxfam), Jean-François Julliard (Greenpeace) signent une tribune commune publiée sur France Info ce vendredi 27 mars.
Ces organisations lancent un appel « à toutes les forces progressistes et humanistes [...] pour reconstruire ensemble un futur, écologique,
féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral ».
En mettant le pilotage de nos sociétés dans les mains des forces économiques, le néolibéralisme a réduit à peau de chagrin la capacité de nos États
à répondre à des crises comme celle du Covid. La crise du coronavirus qui touche toute la planète révèle les profondes carences des politiques néolibérales. Elle est une étincelle sur un
baril de poudre qui était prêt à exploser. Emmanuel Macron, dans ses dernières allocutions, appelle à des « décisions
de rupture » et à placer « des
services (…) en dehors des lois du marché ». Nos organisations, conscientes de l’urgence sociale et écologique et donnant l’alerte depuis des années, n’attendent pas des discours mais
de profonds changements de politiques, pour répondre aux besoins immédiats et se donner l’opportunité historique d’une remise à plat du système, en France et dans le monde.
Dès à présent, toutes les mesures nécessaires pour protéger la santé des populations celle des personnels de la santé et des soignant·e·s parmi
lesquels une grande majorité de femmes, doivent être mises en œuvre, et ceci doit largement prévaloir sur les considérations économiques. Il s’agit de pallier en urgence à la baisse continue,
depuis de trop nombreuses années, des moyens alloués à tous les établissements de santé, dont les hôpitaux publics et les Ehpad. De disposer du matériel, des lits et des personnels qui
manquent : réouverture de lits, revalorisation des salaires et embauche massive, mise à disposition de tenues de protection efficaces et de tests, achat du matériel nécessaire, réquisition
des établissements médicaux privés et des entreprises qui peuvent produire les biens essentiels à la santé, annulation des dettes des hôpitaux pour restaurer leurs marges de manœuvre budgétaires…
Pour freiner la pandémie, le monde du travail doit être mobilisé uniquement pour la production de biens et de services répondant aux besoins essentiels de la population, les autres doivent être
sans délai stoppées. La protection de la santé et de la sécurité des personnels doivent être assurées et le droit de retrait des salarié·e·s respecté.
Des mesures au nom de la justice sociale nécessaires
La réponse financière de l’État doit être d’abord orientée vers tou·te·s les salarié·e·s qui en ont besoin, quel que soit le secteur d’activité, et
discutée avec les syndicats et représentant·e·s du personnel, au lieu de gonfler les salaires des dirigeant·e·s ou de servir des intérêts particuliers. Pour éviter une très grave crise sociale
qui toucherait de plein fouet chômeurs·euses et travailleurs·euses, il faut interdire tous les licenciements dans la période. Les politiques néolibérales ont affaibli considérablement les droits
sociaux et le gouvernement ne doit pas profiter de cette crise pour aller encore plus loin, ainsi que le fait craindre le texte de loi d’urgence sanitaire.
Selon que l’on est plus ou moins pauvre, déjà malade ou non, plus ou moins âgé, les conditions de confinement, les risques de contagion, la
possibilité d’être bien soigné ne sont pas les mêmes. Des mesures supplémentaires au nom de la justice sociale sont donc nécessaires : réquisition des logements vacants pour les sans-abris et les
très mal logés, y compris les demandeurs·euses d’asile en attente de réponse, rétablissement intégral des aides au logement, moratoire sur les factures impayées d’énergie, d’eau, de téléphone et
d’internet pour les plus démunis. Des moyens d’urgence doivent être débloqués pour protéger les femmes et enfants victimes de violences familiales.
Les moyens dégagés par le gouvernement pour aider les entreprises doivent être dirigés en priorité vers les entreprises réellement en difficulté et
notamment les indépendants, autoentrepreneurs, TPE et PME, dont les trésoreries sont les plus faibles. Et pour éviter que les salarié·e·s soient la variable d’ajustement, le versement des
dividendes et le rachat d’actions dans les entreprises, qui ont atteint des niveaux record récemment, doivent être immédiatement suspendus et encadrés à moyen terme.
Des mesures fortes peuvent permettre, avant qu’il ne soit trop tard, de désarmer les marchés financiers : contrôle des capitaux et interdiction
des opérations les plus spéculatives, taxe sur les transactions financières… De même sont nécessaires un contrôle social des banques, un encadrement beaucoup plus strict de leurs pratiques ou
encore une séparation de leurs activités de dépôt et d’affaires.
Des aides de la BCE conditionnées à la reconversion sociale et écologique
La Banque centrale européenne (BCE) a annoncé une nouvelle injection de 750 milliards d’euros sur les marchés financiers. Ce qui risque d’être
à nouveau inefficace. La BCE et les banques publiques doivent prêter directement et dès à présent aux États et collectivités locales pour financer leurs déficits, en appliquant les taux d’intérêt
actuels proches de zéro, ce qui limitera la spéculation sur les dettes publiques. Celles-ci vont fortement augmenter à la suite de la « crise du coronavirus ». Elles ne doivent pas être
à l’origine de spéculations sur les marchés financiers et de futures politiques d’austérité budgétaire, comme ce fut le cas après 2008.
Une réelle remise à plat des règles fiscales internationales afin de lutter efficacement contre l’évasion fiscale est nécessaire et les plus aisés
devront être mis davantage à contribution, via une fiscalité du patrimoine et des revenus, ambitieuse et progressive.
Par ces interventions massives dans l’économie, l’occasion nous est donnée de réorienter très profondément les systèmes productifs, agricoles,
industriels et de services, pour les rendre plus justes socialement, en mesure de satisfaire les besoins essentiels des populations et axés sur le rétablissement des grands équilibres
écologiques. Les aides de la Banque centrale et celles aux entreprises doivent être conditionnées à leur reconversion sociale et écologique : maintien de l’emploi, réduction des écarts de
salaire, mise en place d’un plan contraignant de respect des accords de Paris… Car l’enjeu n’est pas la relance d’une économie profondément insoutenable. Il s’agit de soutenir les investissements
et la création massive d’emplois dans la transition écologique et énergétique, de désinvestir des activités les plus polluantes et climaticides, d’opérer un vaste partage des richesses et de
mener des politiques bien plus ambitieuses de formation et de reconversion professionnelles pour éviter que les travailleurs·euses et les populations précaires n’en fassent les frais.
De même, des soutiens financiers massifs devront être réorientés vers les services publics, dont la crise du coronavirus révèle de façon cruelle
leur état désastreux : santé publique, éducation et recherche publique, services aux personnes dépendantes…
Relocalisation de la production
La « crise du coronavirus » révèle notre vulnérabilité face à des chaînes de production mondialisée et un commerce international en
flux tendu, qui nous empêchent de disposer en cas de choc de biens de première nécessité : masques, médicaments indispensables, etc. Des crises comme celle-ci se reproduiront. La
relocalisation des activités, dans l’industrie, dans l’agriculture et les services, doit permettre d’instaurer une meilleure autonomie face aux marchés internationaux, de reprendre le contrôle
sur les modes de production et d’enclencher une transition écologique et sociale des activités.
La relocalisation n’est pas synonyme de repli sur soi et d’un nationalisme égoïste. Nous avons besoin d’une régulation internationale refondée sur
la coopération et la réponse à la crise écologique, dans le cadre d’instances multilatérales et démocratiques, en rupture avec la mondialisation néolibérale et les tentatives hégémoniques des
États les plus puissants. De ce point de vue, la « crise du coronavirus » dévoile à quel point la solidarité internationale et la coopération sont en panne : les pays européens ont
été incapables de conduire une stratégie commune face à la pandémie. Au sein de l’Union européenne doit être mis en place à cet effet un budget européen bien plus conséquent que celui annoncé,
pour aider les régions les plus touchées sur son territoire comme ailleurs dans le monde, dans les pays dont les systèmes de santé sont les plus vulnérables, notamment en Afrique.
Tout en respectant le plus strictement possible les mesures de confinement, les mobilisations citoyennes doivent dès à présent déployer des
solidarités locales avec les plus touché·e·s, empêcher la tentation de ce gouvernement d’imposer des mesures de régression sociale et pousser les pouvoirs publics à une réponse démocratique,
sociale et écologique à la crise.
Plus jamais ça ! Lorsque la fin de la pandémie le permettra, nous nous donnons rendez-vous pour réinvestir les lieux publics et construire
notre « jour d’après ». Nous en appelons à toutes les forces progressistes et humanistes, et plus largement à toute la société, pour reconstruire ensemble un futur, écologique,
féministe et social, en rupture avec les politiques menées jusque-là et le désordre néolibéral.
Les
signataires :
Khaled Gaiji,
président des Amis de la Terre France
Aurélie Trouvé,
porte-parole d’Attac France
Philippe Martinez,
secrétaire général de la CGT
Nicolas Girod,
porte-parole de la Confédération paysanne
Benoit Teste,
secrétaire général de la FSU
Jean-François
Julliard, directeur général de Greenpeace France
Cécile Duflot,
directrice générale d’Oxfam France
Eric Beynel,
porte-parole de l’Union syndicale Solidaires
Sylvie Bukhari-de Pontual, présidente du CCFD-Terre Solidaire
Jean-Baptiste
Eyraud, porte-parole de Droit au Logement
Lisa Badet,
vice-présidente de la FIDL, Le syndicat lycéen
Jeanette Habel,
co-présidente de la Fondation Copernic
Katia Dubreuil,
présidente du Syndicat de la magistrature
Mélanie Luce,
présidente de l’UNEF
Héloïse Moreau, présidente de l’UNL
Les débats d'ATTAC
Pour répondre à ces questions, nous recevons Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, professeur émérite à l’université
Paris-Dauphine, et Aurélie Trouvé, économiste, porte-parole d’Attac.